• Le mystérieux Coucher de soleil de Giorgione

    Giorgio Barberelli ou di Castelfranco, dit Giorgione ('le Grand Georges'), est un peintre de l'extrême début du 16e siècle. Il meurt jeune, probablement de la peste, à Venise en 1510.

    Giorgione est l'auteur de tableaux énigmatiques, peut-être des oeuvres de commande pour des collectionneurs privés. 

    Saint Georges et le dragon

    Giorgione, Coucher de soleil

    National Gallery, Londres

    Ce tableau, attribué à Giorgione, a été retrouvé en 1933 dans les réserves de la villa Garzoni à Ponte Casale, en très mauvais état. Après avoir appartenu à une collection privée, il a été acquis en 1961 par la National Gallery. 

    Peint vers 1505-1508, il comporte deux scènes sans lien apparent : saint Georges luttant avec le dragon, à droite au second plan, et un homme soignant la jambe d'un jeune homme assis, au centre au premier plan. Des détails, peut-être anecdotiques : une tête monstrueuse émerge près de la rive et la tête d'un vieillard apparaît dans une grotte.
    Ces scènes s'inscrivent dans le plan plus large d'un paysage rocheux, dans la lumière atténuée de la fin du jour. Le titre italien du tableau, Il Tramonto ('le coucher de soleil') évoque, étymologiquement, un 'au-delà de la montagne' : le paysage du tableau, de fait, s'inscrit entre de sombres rochers, mais s'ouvre en arrière-plan sur un horizon bleuté et paisible.  

    Les mystères du Coucher de soleil

    Le sens global de la toile reste mystérieux, comme c'est le cas pour d'autres toiles de Giorgione.

    La scène centrale

    Ainsi, on ignore ce que représente la scène centrale, au premier plan.

    Certains ont supposé qu'il s'agissait du Bon Samaritain. Cela me semble peu convaincant, en l'absence de costumes bibliques, et le blessé ne ressemblant pas à l'homme laissé pour mort de la parabole. 

    On a avancé (Regards sur la peinture) qu'il s'agissait de saint Roch et de saint Antoine. Certes, saint Roch est un saint guérisseur de la peste, réputé pour avoir soigné les malades et pour avoir été lui-même assisté dans la maladie par un chien. Mais pourquoi l'associer à saint Antoine ? Parce que le petit monstre dont on voit la tête sortir de l'eau, au premier plan du tableau pourrait représenter une tentation de saint Antoine (saint Antoine le Grand, vivant en ermite au désert, a subi des visions tentatrices et diaboliques) ? On ne voit pas, là non plus, le rapport entre le vieil anachorète du désert et le jeune homme de Giorgione. On ne voit pas non plus pourquoi saint Roch et saint Antoine seraient réunis. A moins que ce ne soit saint Antoine qui soit effectivement figuré dans l'ombre de la grotte, au second plan, derrière le cavalier (on aperçoit en effet un vieillard barbu...) Mais cette hypothèse ne répond pas à la question de l'identité du jeune homme assis. 

    Le site de la National Gallery, pour sa part, suggère que l'homme assis pourrait être saint Roch, soigné par Gothard (ce Gothard est effectivement venu en aide à Roch, malade, ayant suivi son chien qui apportait de la nourriture à Roch). Dans ce cas, le tableau aurait pu être commandé pour marquer la fin de l'épidémie de peste à Venise en 1504. Mais l'âge des protagonistes ne correspond pas tout à fait à que l'on pourrait attendre et on ne retrouve pas les attributs de saint Roch. 
    Ce même site pense que c'est bien saint Antoine que l'on devine dans la caverne.

    Reste l'hypothèse d'une scène représentant, tout simplement, deux voyageurs se reposant en fin de journée au bord d'une rivière.

    Saint Georges et le dragon : une apparition au fil des restaurations

    Au second plan, à droite, un cavalier sur son cheval blanc, armé d'une lance, attaque un dragon. Il s'agit évidemment de saint Georges, que l'on reconnaît à ses attributs traditionnels. Mais une grande partie de cette zone du tableau provient d'une restauration du 20e siècle ! En effet, le Coucher de soleil a été restauré trois fois en 30 ans. 

    Saint Georges et le dragon 

    Giorgione, Coucher de soleil (détail)

    Voici dans quel état a été trouvée la toile, en 1933 :

    Giorgione, Il Tramonto (The Sunset), Pre-restoration image from the London Illustrated News, 4 November 1933

    Une première restauration a été aussitôt effectuée en Italie, dont voici le résultat :

    Giorgione, Il Tramonto (The Sunset), post-restoration image from the London Illustrated News, 4 November 1933

    Comme on le constate, saint Georges et son dragon sont absents.

    Acheté par un marchand d'art russe, le tableau subit une deuxième restauration, très minutieuse, en 1934.

     

    Giorgione, Il Tramonto (The Sunset), post-restoration by Theodore Dumler
     
    Sont ajoutés à cette occasion trois rochers dans l'eau et la scène avec saint Georges, comme le montre cette photographie réalisée en 1956.
     
    La National Gallery, après des hésitations, finit par acheter le tableau en 1961. Ce n'est qu'après un nettoyage complet et des examens plus poussés, aux rayons X et à la lumière infra-rouge que l'on découvre que la zone du combat de saint Georges est en fait un montage de petits morceaux de toiles peintes anciennes, minutieusement découpées et assemblées pour, probablement, combler des lacunes, voire des trous dans la toile ! Cette technique est flagrante avec la couverture de selle du cheval, d'un bleu turquoise vif, qui coïncide exactement avec un petit morceau de toile découpée. Il était semble-t-il difficile de savoir plus tôt que la peinture n'était pas authentique à cet endroit, car elle contient un pigment à base de cuivre qui lui est bien d'époque... 
    Le cheval blanc et la tête du dragon sont eux-mêmes en partie composés d'un patchwork.
     
    Detail of X-radiograph from the area of the Saint George,'Giorgione, 'Il Tramonto (The Sunset)'
    Radiographie de la zone du combat de saint Georges et du dragon : un patchwork de pièces de toile
     
     
     
    Il semblerait, pour ce que l'on peut en deviner, que la silhouette d'un homme en armure ait bien été présente sur la toile avant toute restauration : on apercevrait en effet des reflets sur son dos et sur son heaume. En outre, seraient également authentiques les formes brunes entrelacées qui représentent aujourd'hui la queue bifide du dragon. Ces deux éléments auraient poussé le restaurateur du tableau, en 1934, à composer un chevalier à cheval et un dragon. Si la présence d'un homme en arme reste vraisemblable, il faut convenir aujourd'hui que le cheval est un ajout sans justification et que ce qui a été interprété comme la queue du dragon aurait pu être simplement les racines apparentes d'un arbuste. 
     
    S'ensuit une troisième restauration, qui, curieusement, a pour effet d'arrondir les rochers dans l'eau, leur donnant l'aspect ambigu d'un animal, peut-être un monstre, nageant.
     
    L'histoire des restaurations du Coucher de soleil est passionnante. Elle est racontée en détail sur le site de la National Gallery
     
    Le sens global du Coucher de soleil reste mystérieux. La lecture du tableau est compliquée par les interprétations diverses et par les ajouts tardifs.  Mais peut-être le sujet principal est-il, tout simplement, le ciel et l'horizon, dont l'harmonie sereine n'est pas même troublée par les scènes anecdotiques qui s'y inscrivent. Et ce paysage lointain est certainement, avec les deux voyageurs, une partie authentique du tableau, due à la main même du maître.

     

     

     


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